Le vent hurlait sur la mer de sel d’Atheran, comme si chaque grain de sable blanc portait les souvenirs d’un monde oublié. Kael observait l’horizon d’un œil sombre, son manteau d’archimage flottant dans les bourrasques éthériques. À ses côtés, quatre silhouettes l’accompagnaient : Asha, toujours enflammée de fierté, Mira, l’élégance du vent incarnée, Neyra, une elfe silencieuse aux yeux de givre, et Théo, son ami de toujours, l’épée à la main et le regard vigilant.
L’Académie de l’Équilibre lui avait confié une mission d’une importance stratégique : explorer les ruines d’un ancien Obélisque du Silence, une tour construite par les Premiers Mages pour sceller un fragment du Chaos Originel. Depuis quelques mois, les flux magiques autour de cette région étaient perturbés. Des bêtes mutantes, des distorsions de l’espace… et des murmures qui venaient du sable.
Une mission de classe S
« C’est bien plus qu’une simple mission d’étude… », grogna Théo en tapant du pied contre une dalle ancienne. « Cet endroit suinte la mort. »
Kael hocha la tête. Il ressentait, au plus profond de son âme, une tension. Ce n’était pas seulement de la magie corrompue… c’était un mensonge ancré dans les fondations du monde.
Ils avancèrent vers l’Obélisque, qui dépassait la mer de sel comme une lance d’ombre percée de glyphes inversés. Kael leva la main, déployant une sphère d’évaluation. Les lettres s’y déformaient. Même la narration résistait ici.
[Surcharge de texte détectée][Conflit de narration — origine : inconnue][Entité ancienne : présence résiduelle]
Mira frissonna. « Ce lieu… tente de nous effacer. »
Depuis la fusion avec Azek-Ra, le Roi Démon millénaire, Kael possédait une force qu’aucun humain — ou même dieu — n’aurait dû manier. Mais l’entité était toujours là, murmurant dans les tréfonds de son être.
« C’est ici que la première fiction a été tordue. Là où ton monde a été volé. »
Kael ferma les yeux. Il ne voulait pas céder à cette voix. Il avait décidé d’utiliser la magie réelle, pas ses pouvoirs de narration. Il se concentra, traça un cercle d’amplification élémentaire et fusionna les sorts de ses compagnons.
Asha : flamme astrale.Mira : souffle tournoyant.Neyra : éclat cryo-temporel.Kael : sceau de néant.
Le sort combiné pulvérisa l’entrée de l’Obélisque.
À l’intérieur, des créatures faites de texte et de verre surgirent : les Scripturaux Déchus, restes d’anciens récits rejetés. Ils parlaient dans une langue inversée. À chaque attaque, ils effaçaient une partie du monde autour d’eux.
Kael hurla : « NE LAISSEZ RIEN S’ÉCRIRE EN VOUS ! »
Le combat fut titanesque. Kael ne pouvait plus se contenir. Il activa partiellement la Forme du Roi Démon : ses yeux devinrent d’un noir abyssal, des flammes violacées jaillirent de son dos — prémices de ses ailes noires.
Il annihila les ennemis. Mais le prix fut lourd : l’Obélisque s’effondra, provoquant une onde de réécriture dans le monde.
Des fissures narratives apparurent jusque dans l’Académie. Des étudiants furent projetés dans des souvenirs qui n’existaient pas. L’arbre de l’Équilibre perdit ses feuilles d’or. Et le Conseil du Monde convoqua une réunion d’urgence.
Mais Kael… s’agenouilla dans les ruines, regardant les débris d’un livre ancien scellé dans l’obélisque.
« Chronique oubliée de l’Auteur Noir »
Ses mains tremblaient.
Ce n’était plus une mission.
C’était un avertissement.
Les tours d’onyx du Palais d’Unification s’élevaient comme des aiguilles dans le ciel, taillées dans le cristal noir d’Oblivara. Situé au croisement des neuf grands royaumes, c’était l’unique lieu où les puissances d’Elaria se réunissaient, non pour se battre… mais pour parler.
Ce jour-là, Kael était convié.
Pas comme ambassadeur.Pas comme élève de l’Académie de l’Équilibre.Mais comme… anomalie.
Son nom s’était répandu comme une traînée de poudre après son combat dans le royaume elfique crépusculaire et sa victoire dans les plaines mythiques contre les Titans d’ombres. Les rapports se contredisaient : certains le voyaient comme un prodige béni des étoiles, d’autres comme un danger à éliminer. Mais tous s’accordaient sur un point :
Kael ne suivait pas les lois de ce monde.
Il arriva par portail royal, accompagné d’Elyra — qui, selon ses dires, avait été la fiancée de Kael dans une ligne temporelle effacée — et d’Asha, qui refusait de le laisser seul dans un nid de politiciens.
Autour de la grande table d’argent siégeaient les souverains :
La Reine-Miroir de Fendryl, souveraine des glaces illusoires.
L’Empereur céleste d’Aelthar, maître des cieux flottants.
Le Roi de Cendres de Vulkarath, dont le cœur battait dans une forge.
La Matriarche Sylvestre d’Elyserine, chef des elfes sylvains.
Le Seigneur Dévot d’Iskrah, représentant du clergé divin.
…et d'autres, dont certains êtres immortels, comme le Roi-Dragon Endormi.
Le Conseil des Neuf Couronnes débuta sous un silence tendu.
Kael resta debout.
— Vous avez modifié la structure de l’Éther, dit la Matriarche, les bras croisés.— Vous avez vaincu un Seigneur Démon, compléta l’Empereur.— Et l’avez… absorbé, murmura le Roi de Cendres.— Vous êtes une menace, affirma enfin le Seigneur Dévot.
Kael leva lentement les yeux. Derrière lui, Elyra fit un pas. Mais il leva la main.
— Je ne suis pas venu pour me justifier. Je suis venu parce que vous avez peur. Et vous avez raison.
Il fit un pas vers la table.
— Je ne suis plus un simple mage. Je ne suis plus seulement un homme. Quelque chose en moi s’est éveillé… Et je ne le contrôle pas encore.
Un murmure traversa la salle.
Kael plaça alors un artefact devant eux : une Lettre Flottante. Une page écrite… sans encre. Les mots y apparaissaient, parfois en avance, parfois en retard, selon les événements.
— Quelqu’un manipule le récit. Pas moi. Quelqu’un d’autre. Il signe ses apparitions de deux mots : Faux Auteur.
La pièce se figea.
— Une ville entière a disparu la semaine dernière dans le Royaume Brisé. Comme effacée. Ce n’est pas moi… mais c’est un avertissement.
Le Roi-Dragon ouvrit un œil pour la première fois.
— Alors le jeu a recommencé… murmura-t-il. L’Élu qui pense écrire, et le Narrateur qui refuse d’être lu…
La réunion bascula. Kael n’était plus seulement une cible ou un outil. Il devenait un point de rupture.
Certains rois proposèrent de le surveiller. D’autres, de l’aider. Un vote fut lancé pour le placer sous tutelle magique mondiale. Mais c’est la Reine-Miroir qui brisa l’équilibre.
— Il a franchi l’absolu. Il est l’un des seuls capables d’arrêter ce Faux Auteur… ou de devenir pire que lui. Alors qu’il reste libre, mais qu’il soit… suivi. Silencieusement.
La séance fut levée. Kael sortit du palais, le cœur serré. Pas de guerre. Pas de paix. Seulement des regards méfiants et des murmures de futurs.
Plus tard, dans sa chambre à l’Académie, il se tint devant le miroir. Les lignes de son corps semblaient se distordre légèrement… comme si quelque chose en lui bouillonnait encore.
Il ouvrit un vieux carnet.Et au lieu de mots… des lettres flottaient, désordonnées.Quelqu’un écrivait en lui.
Et, sur la dernière page, une phrase apparut :
"Tu crois être seul à écrire ?"