Cherreads

Chapter 1 - Crépuscule

Un parfum sucré flottait dans l'air, celui des légumes caramélisés et du pain doré au four. Dans la cuisine baignée d'une lumière dorée, Sky tournait avec attention une louche dans une grande casserole. Son regard glissa vers l'horloge : 16h10. Elle esquissa un sourire en coin.

— Encore quelques minutes, souffla-t-elle pour elle-même.

Au même moment, la porte d'entrée claqua doucement. Des pas pressés résonnèrent dans le couloir.

— Les filles ? J'ai trouvé des merveilles !

Maria entra dans la cuisine, les bras chargés de sacs colorés. Elle portait encore ses lunettes de soleil sur le front et son parfum frais la précédait. Elle posa tout sur la table et s'approcha de Sky.

— Hmm… ça sent bon ici. C'est toi qui cuisines, ma chérie ?

— T'as vu ? répondit Sky, fière. Et j'ai pas cramé le poulet !

— Une vraie victoire, plaisanta Maria.

Mel descendit finalement les escaliers, l'air mi-endormi, les cheveux ébouriffés. Elle s'arrêta net devant les sacs.

— Qu'est-ce que t'as encore acheté ?

— Des trucs pour ce soir, répondit leur mère avec un clin d'œil. J'ai pensé qu'on pourrait sortir un peu toutes les trois. Il y a un nouveau club en ville, paraît que l'ambiance y est géniale.

— Toi dans un club ? se moqua Mel en se posant sur une chaise près de la table .Tu vas danser avec nous ?

— Si je suis dans le bon état d'esprit… peut-être que je vous montrerai quelques pas, dit Maria en riant. Et puis, j'ai envie qu'on profite. Juste nous trois, comme avant.

Maria admira ses filles et pendant un instant, le monde se rétrécit à cette cuisine, à ces sourires et cette complicité chaleureuse. C'était un moment simple, mais précieux.

— Allez, continua Maria en sortant les vêtements des sacs. Je veux vos avis ! On dîne, on se prépare et ce soir… on s'éclate.

Mel leva les bras au ciel.

— Je suis partante. Mais je choisis ma tenue, hein. Pas question que tu me refiles ta robe à paillettes.

— Elle est sublime, protesta Maria.

— Elle est rose fluo, corrigea Sky.

Et elles éclatèrent de rire à nouveau, sans se douter que ce moment deviendrait l'un des derniers où tout allait encore bien.

Pendant ce temps dans un autre pays, une autre horizon , une autre famille ,les choses se passaient différemment.

(Chez les Carter)

Cassie Carter était assise à son bureau, concentrée sur l'écran de son ordinateur portable. Autour d'elle, la chambre était impeccablement rangée, presque trop. Sur les murs, des tableaux de constellations, des diplômes encadrés et des étagères chargées de livres scientifiques. Elle venait de terminer un projet de recherche qu'elle espérait publier bientôt, et elle comptait profiter du dîner pour l'annoncer.

Un coup léger résonna contre sa porte. Elle soupira discrètement.

— Cassie ? appela la voix de Don, calme et posée. Ta mère a préparé le dîner. Tu sais comment elle est quand c'est elle qui cuisine.

— J'arrive.

Elle ferma son ordinateur d'un geste rapide, se leva et s'ajusta dans le miroir. Mèche en place, chemisier sans pli. Parfaite.

Dans la salle à manger, tout brillait. La table était dressée avec soin, comme si un photographe allait débarquer à tout moment. Grace Carter, assise en bout de table, portait un sourire aussi impeccable que son brushing. Ana, elle, tripotait son téléphone, l'air déjà agacée.

— On peut juste manger sans faire semblant d'être dans une pub ? lança-t-elle.

Grace lui lança un regard noir.

— Un peu de respect ne te tuerait pas. Tu crois que j'ai fait tout ça pour quoi ? Pour me faire insulter à table ?

— Non, pour entretenir ton image parfaite. Mais j'ai pas signé pour ce rôle.

— Ana ! fit Don d'un ton d'avertissement.

— Non mais sérieusement, continua Ana. On vit dans une vitrine. C'est ça notre vie. Tout est faux. Et toi, tu t'en fiches, papa, t'es toujours neutre. Tu dis jamais rien.

Un silence glacial s'installa. Cassie, prise entre deux fronts, hésita à parler de sa réussite. Ce n'était pas le moment. Elle se contenta de baisser les yeux sur son assiette.

Grace posa lentement sa fourchette, son regard fixé sur Ana comme une flamme glaciale.

— Tu sais ce qui est faux ici, Ana ? Ta gratitude. Tout ce qu'on fait pour toi, et tu n'es même pas capable de le voir.

— Tout ce que vous faites ? répéta Ana, un rire amer dans la voix. Depuis quand tu fais quelque chose pour moi sans penser à ton image, maman ? Tu veux une fille bien habillée, bien élevée, brillante, polie — une extension de ta réussite. Mais pas moi. Moi, je veux juste vivre !

— Tu n'as aucune idée de ce que c'est que de se battre pour une famille. Tu veux qu'on te laisse faire n'importe quoi ? Sortir avec ce garçon sans avenir, fumer dans ta chambre, traîner Dieu sait où à des heures pas possibles ?

— Lui au moins, il me voit. Il est vrai. Pas comme cette maison où tout sonne faux, même les silences.

Grace se leva d'un coup sec, sa chaise raclant le parquet dans un bruit aigu.

— Parfait. Va le retrouver. Si tu penses qu'il t'aime plus que ta propre famille, va donc te jeter dans ses bras. Peut-être que lui, il te supportera. Moi, je suis fatiguée de devoir toujours me justifier. D'avoir un mari qui ne dit jamais un mot. Une fille qui me méprise. Et une autre qui…

Elle se tourna vers Cassie, sur le point d'exploser, mais se ravisa. Cassie avait la tête baissée, figée, les épaules tendues.

— J'en ai assez, murmura Grace. Je vais me coucher. Bon appétit.

Elle quitta la pièce dans un claquement de talons, laissant un vide lourd derrière elle.

Ana se leva aussi, poussant sa chaise d'un geste sec.

— Cassie, je suis désolée que tu doives vivre avec ça. T'as rien dit mais t'en penses pas moins .

Sans attendre de réponse, elle monta les escaliers à son tour. Don, impassible, sirotait lentement son verre d'eau. Comme s'il était ailleurs.

Cassie resta seule à table, le cœur lourd. La belle soirée qu'elle avait imaginée pour leur annoncer sa nouvelle venait de s'effondrer comme le reste.

(De nouveau chez les Decker )

Le dîner se passa dans la même ambiance joyeuse. Sky avait réussi son plat, Mel engloutissait son assiette en prétendant que c'était uniquement parce qu'elle avait sauté le petit-déj', et Maria faisait semblant de ne pas remarquer qu'elle s'en resservait déjà une troisième fois.

— Bon, annonça cette dernière en reposant sa serviette. Dans trois heures, tout le monde en tenue. On décolle à vingt-et-une heures tapantes.

— Pourquoi t'as autant d'énergie, toi ? demanda Sky en la regardant avec un air suspicieux.

— Parce que je me suis réveillée bien avant seize heures, moi, répliqua Maria en lançant un regard moqueur à Mel.

— J'ai une excuse. Je faisais un rêve très important. Je sauvais le monde. Encore.

— Sauver le monde c'est bien, répondit Maria. Mais tu vas devoir au moins sauver ta coiffure avant qu'on sorte.

Puis, après avoir débarrassé la table ensemble, chacune monta se préparer dans sa chambre. Les rires s'éteignirent peu à peu, remplacés par la musique que Sky mettait à fond en fouillant dans son placard, les bips du fer à lisser de Mel, et les commentaires de Maria qui passait de chambre en chambre avec ses sacs et ses avis.

Un peu plus tard, elles se retrouvèrent devant la glace du salon, parfaitement apprêtées. Mel avait opté pour une robe noire simple mais élégante, Sky avait noué ses cheveux en chignon désordonné qui lui allait à merveille, et Maria… Maria brillait. Une jupe en cuir, un haut doré, un trait d'eyeliner précis et une énergie vibrante qui semblait rajeunir son regard.

— Vous êtes magnifiques, dit-elle avec sincérité.

— On tient de toi, répondit Sky en lui faisant un clin d'œil.

Elles quittèrent la maison en riant, bras dessus bras dessous. Le taxi les attendait déjà. Il faisait encore clair, mais le ciel commençait à virer au mauve. Un de ces soirs tièdes où tout semble possible.

Elles passèrent la porte du club comme on entre dans une promesse : celle d'un moment suspendu. La musique les enveloppa aussitôt, les basses leur résonnaient dans la poitrine, et pendant un temps, elles oublièrent tout le reste.

Mais l'euphorie ne dure jamais.

Vers minuit, Maria s'éloigna discrètement de la piste.

— Je vais prendre un peu l'air, les filles, leur glissa-t-elle en souriant. Amusez-vous, je reviens.

Sky leva le pouce sans s'arrêter de danser. Mel, elle, fronça légèrement les sourcils, sans savoir pourquoi.

Le temps passa. Trop.

Une demi-heure. Puis une heure.

— Elle n'est toujours pas revenue, murmura Mel en s'approchant de Sky.

— Peut-être qu'elle est restée dans le taxi ou qu'elle parle à quelqu'un. Tu sais comment elle est.

Mais une angoisse sourde avait commencé à s'installer. Elles sortirent ensemble, leurs talons claquant sur le bitume. L'air de la nuit était plus froid maintenant. Trop calme.

Et c'est là que Mel s'arrêta net.

Devant la boîte, sur le pare-brise d'une voiture garée de travers, gisait le corps de Maria.

Ses cheveux encore bien coiffés étaient trempés de sang, ses bras tordus de manière étrange. Et ses yeux , ses yeux etaient écarquillés et d'un rouge vif , on aurait dit qu'elle a vu quelque chose d'extrêmement effrayant . La robe dorée brillait sous la lumière des lampadaires, comme un rappel cruel de la soirée qui venait de se finir.

— Maman ?... balbutia Sky, incapable de bouger.

Mel hurla. Et le monde bascula.

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