Il n’y eut d’abord qu’un craquement.
Un soupir dans le bois, comme un murmure au bord de la rupture. Puis l’effondrement.
Les rideaux rouges, jadis fiers et majestueux, s’embrasaient à présent comme les ailes calcinées d’un ange déchu. La soie tombait en cendres, emportée par une flamme invisible, dans un silence trop parfait pour être réel. Le velours noirci, le plafond effondré. Les dorures du théâtre, jadis symbole de faste et de lumière, n’étaient plus que cendres et fer tordu.
Le cœur de la scène battait encore — lentement, douloureusement — sous les plaintes du bois meurtri.
Et pourtant, en son centre, il était là.
Un garçon. Jeune. Sans blessure visible, sans cri, sans larmes. Son corps reposait comme celui d’un acteur oublié. Trop calme. Trop intact. Trop pur.
Ses paupières frémirent. Il ouvrit les yeux. Deux iris clairs, flottant dans un monde en ruine.
Autour de lui, la destruction.
Au-dessus, une verrière brisée laissait pénétrer la pluie fine, froide, presque acide.
Tout autour, des débris épars reflétaient les lueurs métalliques d’un ciel étouffé.
Le théâtre n’était qu’un îlot de ruines, au cœur d’une ville que l’on devinait par les ouvertures éventrées : tours cybernétiques brisées, néons mourants, bidonvilles imbriqués à l’acier.
Un futur en perdition.
Il se redressa lentement. Ses membres tremblaient, ses genoux fléchirent. Mais il tint bon. Un souffle rauque. Une douleur dans la poitrine, invisible, insidieuse.
Il porta la main à son torse — pas de blessure. Pourtant, quelque chose manquait. Quelque chose d’arraché. Comme un organe fantôme.
Un nom lui échappa.
Pas le sien.
Quelque chose de plus grand, de plus ancien.
Un mot qui brillait un instant, avant de s’effacer aussitôt.
Et cette image, fixe, obsédante :
Un espace infini, noir. Des fils suspendus, innombrables, reliant tout à tout.
Et au centre… lui.
Suspendu. Immobile. Trahi.
Son autre main toucha un objet dans la poche intérieure de sa veste déchirée.
Un carnet.
Cuir noir, usé.
Codex, gravé en lettres d’or.
Il l’ouvrit.
Première page : blanche.
Deuxième : blanche.
Troisième…
> « Rappelle-toi : tu étais l’Auteur. Tu as échoué. »
« Le monde que tu dois réécrire te dévorera. »
Il resta figé.
Ses doigts se crispèrent. Son souffle devint court. Son cœur battait plus fort.
Qui avait écrit cela ? Lui-même ? Une version passée ? Une version future ?
Une voix s’éleva, profonde, douce, sans origine :
> « Tu as été effacé. Recommence. Réécris. »
Il serra le Codex contre lui.
Son regard se perdit dans l’obscurité mouvante du théâtre. Le public avait disparu. Les balcons s’étaient effondrés.
Mais un frisson traversa son dos : il avait l’impression d’être observé.
Pas par des yeux. Par l’histoire elle-même.
Il se leva enfin, vacillant.
Mais droit.
À sa manière, c’était un prince. Un prince tombé, exilé de son propre royaume.
Mais il avait gardé l’allure. La flamme.
Même si tout le reste avait brûlé.
Il murmura, presque sans s’en rendre compte :
> « Je retrouverai qui j’étais. Et pourquoi on m’a tué. »
Le Codex se referma. Un claquement sourd dans l’immensité.
Il descendit les marches brisées de la scène, quittant les cendres rouges du passé pour s’enfoncer dans la ville défigurée.
Un avenir l’attendait.
Et dans cet avenir, il était encore être un héros.
Personne ne viendrait le contredire.
Pas encore.